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De son côté, le domaine communal couvre 4.160.000 hectares dont
une très faible partie relevant des communes de plein exercice. La
presque totalité constitue le domaine des douars: forêts, terres
de parcours, terres de cultures aussi, où l'indigène pasteur ou
sédentaire fait vivre son troupeau, où le fellah imprévoyant
trouve un suprême abri et l'administration, une ressource pour
donner des terres à ceux qui n'ont pas conservé celles qu'ils
occupaient.
Ces données tant domaniales que communales, ce n'est d'ailleurs pas
tout, car à la faveur des lois de 1873 et des lois subséquentes,
aussi bien d'ailleurs que des actes qui francisent la terre (actes
notariés notamment), plus de deux millions et demi d'hectares
(2.557.950) sont passés sous le régime du droit commun. Quelle
portion de cette étendue est-il resté entre les mains de
l'autochtone ou passé entre celles des Européens ? Aucune donnée
suffisamment précise n'existe à cet égard.
En admettant, comme d'un ordre de grandeur acceptable, un million
d'hectares entrés dans le patrimoine européen, on peut considérer
que sur les onze millions et demi d'hectares de propriété privée,
l'indigène détiendrait quelque huit millions et demi d'hectares et
l'élément européen trois millions environ, soit approximativement
le quart. Cette constatation, sèchement mathématique, ne peut
avoir de signification que si elle est accompagnée d'un certain
nombre de considérations qui en déterminent la juste valeur: le
rapport paraît être en faveur des Européens, si l'on compare
l'importance respective des populations qui est dans la relation de
1à 6, ce dernier chiffre étant d'ailleurs très inférieur à la
réalité, étant donné la suprématie de l'élément rural chez
les indigènes. Mais il convient de ne pas perdre de vue que ces
derniers disposent, comme on l'a dit, de quatre millions et demi de
communaux, à la fois terre de parcours du nomade des Hauts-Plateaux,
réserve d'avenir du fellah et fonds d'assurance contre son
imprévoyance native.
Parfois certaines circonstances ont permis à l'indigène de se
réinstaller sur d'anciennes terres de colonisation. C'est ainsi
qu'aux environs de 1860, une grande partie des 420.000 hectares
cédés aux colons par le Gouvernement étaient revenus entre les
mains des anciens détenteurs, soit par voie de rachat, soit par
voie d'affermage. Il en a été de même dans les pays à population
dense (Kabylie ou Est Constantinois). L'aisance qui s'est
manifestée pendant et depuis la grande guerre, dans les milieux
ruraux indigènes, |
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a permis à beaucoup d'entre eux de réaliser leur rêve de fellah -
se libérer de leurs dettes et agrandir leur lopin de terre, - au
point que, pendant une certaine période, la balance des échanges a
été en leur faveur exclusive. Mais en pareille matière, il est
bon, pour être un juge impartial, de ne pas limiter ses
observations à une période de trop courte durée, ni à une
région donnée. Vérité en deçà, erreur au delà; vérité de ce
jour, erreur du lendemain. Le mordant de l'emprise européenne dans
l'ouest de la Colonie, aussi bien que le tableau des mutations
foncières intervenues au cours de ce demi-siècle, suffisent à
illustrer cette affirmation.
D'après les contrats soumis à l'enregistrement : 1.500.000
hectares sont passés aux mains des Européens au cours de la
période 1890-1928 alors que ceux-ci ne cédaient que 600.000
hectares aux indigènes pour les sommes respectives de 400 et 390
millions. Relevons, en passant, pour l'offrir, aux méditations du
fellah, la leçon qui se dégage des prix payés dans l'un et dans
l'autre cas. Retenons-la comme un hommage rendu à ceux dont le
labeur ingrat a fait de notre Colonie ce qu'elle est et comme un
paternel conseil à l'indigène de tirer encore un meilleur profit
de la leçon d'énergie et d'intelligence que lui donne son
éducateur européen.
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