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cours d'un séjour en France, de juillet à décembre 1846, il en
entretint Louis-Philippe et Guizot, et obtint d'eux la promesse
qu'un crédit d'essai' serait demandé aux Chambres. Apprenant a la
fin de décembre que le crédit avait été ajourné, il écrivit à
Louis-Philippe une lettre pressante et lui envoya, ainsi qu'à
Guizot, un mémoire sur la colonisation.
Ses démarches eurent peu d'effet. Constatant, au début de mars,
par le projet de loi sur la colonisation; que le système
préconisé par La Moricière triomphait du sien, il écrivit à
Guizot : " Je suis déjà un peu vieux pour la rude besogne
d'Afrique, et vous savez que si je tiens à conserver le
gouvernement après avoir résolu les questions de guerre et de
domination des Arabes, c'est uniquement pour faire entrer le pays,
avant. de me retirer, dans une voie de colonisation qui puisse
perpétuer notre conquête et délivrer la France du grand fardeau
qu'elle supporte. " Comme il ne pouvait faire adopter ses
idées à ce sujet, il préférait résigner les fonctions dé
gouverneur qu'il exerçait depuis six ans.
Il eut encore la satisfaction au mois d'avril de voir l'agitateur
Bou Maza se rendre au colonel de Saint-Arnaud; puis, au mois de mai,
il alla soumettre la partie de la grande Kabylie qui restait une
menace pour la paix, malgré l'ordre reçu du Ministre, au dernier
moment, de renoncer à cette expédition. Après ce dernier fait
d'armes, il décida de partir.
Bugeaud a été célébré surtout pour ses campagnes victorieuses
contre Abd el Kader et les tribus; et cependant c'est à son oeuvre
colonisatrice que le vieil agriculteur attachait personnellement le
plus grand prix.
Avant de s'embarquer pour la France, le 5 juin 1847, il résumait
lui-même cette oeuvre depuis 1841 dans une proclamation qu'il
adressait aux colons : " Voyez les routes, les ponts, les
édifices de toute nature, les barrages, les conduites d'eau, les
villages qui ont surgi, et dites si nous n'avons pas fait en
colonisation, au milieu d'une guerre ardue, plus qu'on n'avait le
droit d'attendre en raison des moyens exigus mis à notre
disposition. Mais, ce qui est colonisateur et administratif
au-dessus de tout, c'est la sécurité. "
II leur montrait comment les Indigènes assuraient eux' mêmes cette
sécurité, en exerçant la police et en accueillant les voyageurs.
Quant au commerce, s'il était encore peu important, c'est parce
qu'il avait été contrarié par la guerre |
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et par le peu de besoins des Indigènes; mais il était
appelé, pensait-il, à " grandir tous les jours par les
bienfaits de la pacification ".
Il prêchait paternellement la patience à ceux qui désiraient voir
importer immédiatement les institutions civiles et politiques de la
France dans un pays où l'élément européen occupait. encore une
si petite place dans le chiffre de la population et dans la
superficie territoriale. Il leur indiquait que des réformes plus
pratiques étaient un large système de colonisation civile et
militaire, une augmentation de crédits pour les travaux publics et
une décentralisation enlevant à Paris un grand nombre des
questions qui s'y traitaient: " Plus tard, concluait-il, quand
vous aurez grandi, quand votre société sera assise sur de larges
bases, quand vous aurez assez d'aisance pour payer des impôts, le
moment sera venu de demander des institutions en harmonie avec votre
état social. "
En lisant avec le recul du temps ces conseils si sages et si
judicieux, on constate que les conceptions du Maréchal, méconnues
et combattues à son époque, étaient les vraies, et qu'elles ont
été depuis lors réalisées progressivement, à leur heure.
Dans la proclamation adressée à l'armée, Bugeaud résumait les
glorieuses campagnes par lesquelles elle avait rejeté Abd el Kader
hors de l'Algérie, vaincu l'armée marocaine et soumis les tribus;
il célébrait l'établissement de " sa puissance morale qui
gardait les routes et protégeait la colonisation sans exiger sa
présence constante ". Mais ce qu'il louait surtout chez ses
troupes, c'était d'avoir compris que leur tâche était multiple,
" qu'il ne suffisait pas de combattre et de conquérir, qu'il
fallait encore travailler pour utiliser la conquête ". Son
exposé à cet égard constituait un plaidoyer pour sa colonisation
militaire :
" Vous avez trouvé glorieux, écrivait-il, de savoir
manier, tour â tour, les armes et les instruments de travail; vous
avez fondé presque toutes les routes qui existent ; vous avez
construit des ponts et une multitude d'édifices militaires; vous
avez créé des villages et des fermes pour les colons civils; vous
avez défriché les terres des cultivateurs trop faibles encore pour
les défricher eux-mêmes ; vous avez créé des prairies, vous avez
semé des champs, et vous les avez récoltés. Vous avez montré,
par là, que vous étiez dignes d'avoir une bonne part dans le sol
conquis, et que vous sauriez aussi bien le cultiver que le faire
respecter de vos ennemis. "
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